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Brèves de Delos
1 mai 2010

Méditation tumulaire

J’aime l’ambiance des cimetières.

Cela peut paraître étrange de prime abord, mais je m’y promène volontiers, en journée, lorsque le soleil darde ses tendres rayons avec générosité et enveloppe mon corps de sa chaude présence réconfortante.

Celui de mon village est un havre de paix. Je viens souvent m’y promener à l’heure de midi, échappant ainsi pour quelques moments de douce éternité à l’ambiance survoltée du bureau.

J’y ai mon banc, enclos d’un côté d’un épais mur de parpaings et de l’autre de sapins odorants, à l’abri du vent, plein sud, rouillé, vétuste, pas trop confortable, mais dont la rémanence accueillante m’est apaisante. Devant le mur gris, un espace réservé à la famille des défunts, destiné à recueillir bouquets fanés, plantations, fleurs en plastique, témoigne d’un souci certain de l’esthétisme des survivants, à moins qu’il ne s’agisse plus prosaïquement de crainte, qu’elle soit de déplaire aux trépassés ou aux membres les plus susceptibles de leur famille…

Dans ces nécropoles, tout est conçu pour apaiser la douleur et le chagrin des survivants. De jolis massifs fleuris offrent leurs corolles colorées et joyeuses à la vue des visiteurs éplorés. La beauté n’ôte rien à la peine mais la rend un rien plus supportable.

Là, assise au soleil, je me livre à la lecture ou la méditation, le visage offert aux rayons dorés bienfaisants, l’oreille à l’écoute du délicieux gazouillis des oiseaux, du murmure mélodieux du vent dans les arbres, du doux bourdonnement des abeilles. Nulle âme humaine ne vient troubler ces lieux. Elles sont occupées à quelque repas roboratif, et j’en suis heureuse. De tels moments de solitude me sont précieux. C’est en compagnie de ces défunts que je peux méditer sur la brièveté de la vie humaine ou l’inanité des ambitions. L’agitation de la vie quotidienne, ses passions, ses contrariétés, viennent buter aux grilles du cimetière et n’y sont point tolérées.

Me promenant dans les allées de gravier géométriquement dessinées, j’écoute mes pas crisser doucement, troublant l’harmonie et le silence de ces lieux. Des noms, qui pour la plupart ne m’évoquent rien, me parlent de destins souvent brisés par la guerre, la maladie et l’injustice. Quelques sépultures richement drapées de cuivre ou d’or ouvragé attestent d’une réussite sociale certaine. Des inscriptions, touchantes ou parfois obséquieuses trahissent, telles des indices, la personnalité du défunt et de ceux qui les ont enterrés.

Je ne vois aucune morbidité dans cette inclination. Je ne suis ni gothique, ni affligée de mélancolie excessive. Au contraire, ces moments d’intense réflexion me permettent d’apprécier plus pleinement la vie à sa juste mesure et me donnent l’envie d’en extraire la quintessence. C’est probablement l’héritage le plus précieux que nous laissent ainsi ces corps dépouillés, ces sépulcres exposés sans pudeur au regard des vivants, un message d’avertissement à tous ceux qui se flattent de leur renommée ou de l’importance de leur portefeuille, qui s’imaginent indispensables ou irremplaçables. Tout se termine ici, quels que soient notre statut social, notre prestige, notre gloire éphémère. Chacun en tirera sa propre conclusion, en fonction de son éducation, de ses valeurs, de ses croyances, mais nul ne peut feindre de l’ignorer.

 

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